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Au sommaire:
Introduction
1. Le terme "Tai-jitsu"
2. Du Tai-jitsu antique au Tai-jitsu moderne
"L'ère médiévale"
"Vers la modernité"
"Transmission du Tai-jitsu vers la France": Jim ALCHEIK
(Les débuts -
La disparition de Jim Alcheik -
La part d'ombre de Jim Alcheik -
L'esprit Yoseikan au cœur du Tai-jitsu?)
3. Les héritiers du Tai-jitsu d’Alcheik
4. Les déboires et les orientations du Tai-jitsu après le décès d’ Alcheik
5. Le "karaté-jitsu ou Karaté défensif" VS "Tai-jitsu"
Conclusion
Bibliographie et archives sur Jim Alcheik
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Introduction
Notre historique est représenté schématiquement par un diagramme,
Une carte du Japon se trouve au point 4 traitant du Karaté jitsu.
Il ne s’agira pas de reprendre les « discours » communément retransmis par internet ou par une presse vulgarisée insuffisamment documentée, mais d’un recoupement d’informations diverses, soumis à une analyse critique. Cet historique sera dès lors incomplet, mais posera malgré tout, là où des béances subsistent, des interrogations dont il appartiendra au lecteur d’en estimer la portée.
1. Le terme "Tai-Jitsu"
Selon l’Encyclopédie des Arts Martiaux de l’Extrême Orient, le terme « Tai Jitsu » (Tai : corps – Jitsu : technique – technique du corps) serait, au Japon médiéval, une ancienne appellation générique pour désigner des systèmes de combats à main nue. Le terme « Tai Jitsu », « Yawara », « Koshi-no-mawari », « Ju-Tai-Jitsu » et bien d’autres appellations désignaient donc des systèmes martiaux souvent assez similaires.
"Ju-jitsu est, de nos jours, un terme générique englobant toutes les techniques de combat, à main nue (à part le karaté, qui n'est venu au Japon qu'au début de ce siècle). En réalité, une foule d'autres appellations recouvraient la même réalité (à partir du XVII siècle): chogusoku, genkotsu, gusoku, chikarakurabe, nakushi, kogusoku, kempo, toride, yawara, wajitsu, shikaku, kumiuchi, koshi no mawari, aikijitsu, taijitsu, hakuda." (HABERSETZER, Le guide Marabout du Ju-jitsu et du Kiai, p. 18)
Ce ne serait que plus tardivement, au XVIIe siècle, que le terme « Ju Jitsu » aurait commencé à être employé de manière générique pour désigner l’ensemble des systèmes de combats sans armes. Les termes « Tai Jitsu » et « Ju Jitsu » auraient donc été d’abord employés en tant que dénominations équivalentes, désignant tous les systèmes martiaux en général, le terme « Ju Jitsu » supplantant par la suite celui de « Tai Jitsu ».
Le développement historique du « Tai Jitsu », dans une telle optique, serait celle du « Ju Jitsu » dont le « Tai Jitsu » ne serait tantôt qu’une école (ryu), tantôt qu’un terme générique équivalent au terme « Ju Jitsu ». Le Tai Jitsu était un des enseignements martiaux, parmi d’autres, qui était jadis inculqués aux Samouraïs, représentants de la caste des « guerriers » dans la société japonaise médiévale.
Ce ne serait que vers la moitié du XXè siècle, avec l’impulsion de Jim ALCHEIK sous les encouragements de Maître Minoru MOCHIZUKI (Yoseikan Ryu), qu’un système nommé « Tai Jitsu » émerge et se diffuse en Europe. Les influences techniques qui ont contribuées à la formation du « Tai Jitsu » d’ALCHEIK sont spécifiques. Après la mort précoce de Jim ALCHEIK (1931-1962), ses élèves et successeurs ont assuré la continuité du travail du maître.
2. Du "Tai-Jitsu antique" au "Tai-Jitsu moderne"
2.1. L'ère médiévale
D’après HABERSETZER, confirmé partiellement par Ichiro ABE, l’histoire du développement des arts martiaux au Japon serait décomposable en trois périodes :
a) Techniques primitives et expérimentations : une période où les techniques de combat étaient primitives et expérimentées sur les champs de bataille. Le Japon ayant été miné par de nombreuses guerres civiles au cours de son histoire. C’est dès le VIIe siècle, jusqu’au XIIe et XIIIe siècle, lorsque le Japon voit l’ascension des classes militaires luttant pour le pouvoir, que fleurissent déjà des techniques de combat individuel.
b) Emergences des « Ryu » (écoles) proposant des méthodes concurrentes : une période (à partir du XIIe) où les techniques sont davantage étudiées et codifiées, des concepts autres que techniques inspirent de nouveaux principes techniques. Cela dans un contexte d’insécurité permanente où des guerres de clans féodaux persistent.
c) Dérivation des anciennes techniques martiales de leur fonction première, recherche des voies (budo) : au début du XVIIe siècle, les écoles martiales tendent vers des recherches philosophiques, d’éducation et éthiques. Le Shogun Tokugawa Ieyasu instaure une ère de paix jusqu’en 1868.
Dans un article, HERNAEZ reprend quelques ryu célèbres au XVIIe siècle : Yawara Jitsu, Wa Jitsu, Kogusoku, Hakuda, Shubaku, Tenshin Shinyo Ryu, Kiushin Ryu, Tai Jitsu, Torite, Kempo, Kumi Uchi, Koshi No Wakari, Kito Ryu, Takeno Uchi Ryu, etc… On observera que le "Tai-jitsu" y est repris comme une école particulière.
HABERSETZER évoque succinctement l’état des lieux des écoles martiales au XIXe siècle:
«... un ouvrage paru en 1843, le « Bojitsu-ryu-roku », dénombre au moins 158 écoles majeures d’arts martiaux, divisées en huit grandes familles, dont celle du ju-jitsu ; d’autres sources indiquent une centaine d’écoles du ju-jitsu à la fin des Tokugawa, dont une quarantaine de styles majeurs. »
Durant ces périodes, la prolifération d’écoles martiales, parfois très proches, était souvent le fait d’un Maître justifiant la présentation d’un style de sa composition par l’adjonction d’une innovation technique ou philosophique (souvent déjà présente dans d’autres écoles, parfois plus anciennes), et d’une révélation métaphysique ou religieuse. Les interférences étaient dès lors très nombreuses. Tai Jitsu, Aiki Jutsu, Ju Jutsu, Wa Jutsu… étaient dès lors, en quelque sorte, des disciplines « sœurs » parfois proches par certains aspects techniques.
Le même auteur distingue, après ces trois étapes médiévales, trois autres phases caractéristiques de l’évolution des divers arts martiaux désignés sous le générique de Ju Jitsu à partir du 19ème siècle :
1) Les styles et écoles martiaux attachés aux traditions médiévales et guerrières du Japon.
2) Les styles et écoles martiaux tendant vers la modernité, remaniant des éléments de la tradition pour les rendre conformes au contexte de la modernité (aïkido, judo, karaté etc.).
3) Les styles et écoles martiaux qui prolifèrent à partir et en dehors du Japon vers la seconde moitié du XXème siècle.
Les prémisses du Tai Jitsu moderne se situent entre les deuxièmes et troisièmes phases.
2.2. Vers la modernité
L’histoire aurait commencé avec Minoru MOCHIZUKI (1907-2003) qui débute son instruction de Judo et de Kendo dès son plus jeune âge (entre 1910 et 1912). Il deviendra disciple auprès de Jogoro KANO au Kodokan par la suite, mais également au Gyokushin Ryu (+/- 1924) : « Pendant que j’étudiais avec Sanpo Toku, je pratiquais aussi un vieux style de Ju Jutsu appelé Gyokushin-ryu. Ce système donnait une grande importance aux techniques de sacrifice et d’autres techniques ressemblaient à de l’Aïkido… ».
Il a parallèlement pratiqué d’autres disciplines dont l’Aiki Ju Jutsu (mais également le Jo Jutsu, Ken Jutsu, Karaté chez d’autres Maîtres) auprès du Maître Morihei UESHIBA, lui-même transmettant les enseignements du Daito ryu (Aikijujutsu) de Sokaku TAKEDA : «(…) Maître Ueshiba avait reçu du maître Takeda l’autorisation d’enseigner le Daîto Ryu Aiki Ju Jutsu. En 1933, maître Ueshiba m’a remis la plus haute distinction de cette école ».
Maitre Ueshiba et Minoru Mochizuki Minoru Mochizuki
MOCHIZUKI introduit pour la première fois l’Aïkido (tradition du Daito Ryu - aikijujitsu) en France en 1951 au Dojo d’Henry PLEE. Il décline la demande d’UESHIBA voulant faire de lui son successeur car il s’écartait de la nouvelle direction du travail d’UESHIBA qui faisait évoluer son Aiki Ju Jitsu ou Aiki Jitsu d’origine vers un Aïkido plus philosophique et « doux » (Aïkido de l'Aikikai).
"(A propos du Daito ryu) ... ju-jitsu et aiki-jitsu avaient autrefois bien plus de rapports que n'ont aujourd'hui judo et aïkido; c'est pourquoi l'étude de l'aiki-jitsu, méthode originale sur le plan des conceptions, peut être englobée dans celle du ju-jitsu..." (HABERSETZER, Le guide Marabout du Ju-jitsu et du Kiai, p. 29.
MOCHIZUKI fonde, en 1931, un dojo qu’il nomme Yoseikan où il enseigne, à cette époque, le Judo, l’Aïki Ju Jitsu, le Iaïdo et le Kobudo (Katori Shinto Ryu). A la fin des années 60, y sera également enseigné le Karaté sous la direction de Maître SANO. Notons que dans certains sites officiels du Nihon Tai Jitsu, il est dit que le Yoseikan Ryu avait une section Tai Jitsu parmi les diverses disciplines qui y étaient enseignées. Qu'en était-il réellement? Maître Minoru MOCHIZUKI aurait été 10ème dan Aïkido, 9ème dan Ju-Jitsu, 8ème dan Judo, 8ème dan Iaïdo et 8ème dan Katori Shinto Ryu. Il serait considéré comme l’un des plus grands Maîtres d’arts martiaux du 20ème siècle.
C’est avec Jim ALCHEIK (1931-1962) que le Tai Jitsu est popularisé et diffusé en France dans les années cinquante, avec l’impulsion du Maître Minoru MOCHIZUKI (Yoseikan Ryu) dont ALCHEIK est élève et représentant en Europe. MOCHIZUKI voulait diffuser un enseignement polyvalent et très complet dans son école. Ceci, à l'image de l'instruction que recevaient les "samouraïs" quelques siècles plus tôt. Mais il s'agissait d'une instruction en accord avec les connaissances martiales de son époque.
2.3. Transmission du Tai-Jitsu vers la France: Jim ALCHEIK
Les débuts
En ce qui concerne la France, c'est avec Jim Alcheik que tout a commencé. Le Sensei Jim ALCHEIK est né à Duperré, un village algérien, en 1931 alors que l'Algérie était une colonie française. A l'âge de trois ans, il part avec ses parents à Paris où il y passe la majeure partie de sa vie scolaire. Formé au Judo, il donne en 1948, avec le Maître Raymond Sasia, des cours au club "l'Alhambra" à Paris. Lors d'un voyage de MOCHIZUKI en 1951 en vue d'y enseigner son système d'aïkido, ALCHEIK, qui s'essaye à l'aikido-yoseikan (différent de l'aïkido d’UESHIBA), décide de suivre son enseignement au Japon avec MOCHIZUKI, où il fut admis au dojo Yoseikan. Durant cette période, ALCHEIK a pu parfaire sa formation de judo auprès du Maître Tokio HIRANO également.
ALCHEIK serait resté trois ans au Japon, apprenant les disciplines enseignées par MOCHIZUKI. En 1957 lorsqu'il régressa en France, accompagné de divers Maître Japonais (dont Hiroo MOCHIZUKI, fils de Minoru), il ouvrit un Dojo à Paris où l'aikido-yoseikan, le Tai jitsu, le kendo, le karaté et le iaido étaient enseignés. Certaines sources énoncent que ALCHEIK enseigne l'Aïkido et le Tai Jitsu de manière distincte, respectivement aux enseignements du Yoseikan. Ce serait Minoru MOCHIZUKI lui-même qui voulut faire d’ALCHEIK son représentant en Europe et le chargea de créer la FEDERATION FRANÇAISE D’AIKIDO, TAI JITSU et KARATE (FFATK). D'autres sources expliquent qu'il diffuse l’enseignement de MOCHIZUKI mais alors les noms de «Aïkido Ju Jutsu », « Aïkido Tai Jitsu » ou "Aïkido Karaté" sont évoqués,
C'est là qu'un grand flou persiste. Dans un premier cas de figure, soit nous avions affaire à l'origine à un Tai-jitsu spécifique, déjà enseigné comme tel (un Tai jitsu différent d'un "aikido ju jitsu" ou un "aikido karate") ou, dans un second cas de figure, à un "mélange de disciplines" donnant naissance au Tai-jitsu.
Le plus probable est que le "Tai-jitsu" était déjà conçu comme discipline propre puisque la fédération de Tai jitsu est créée dès le retour d’ALCHEIK du Japon, comme si elle était déjà constituée comme telle. Il créera en effet la Fédération Française de Tai Jitsu en 1957 ou 1958. Cette lecture mettrait à mal l'idéologie "franco-française" largement rependue énonçant que le Tai jitsu est une invention française.
Pour le deuxième cas de figure, les choses sont moins claires. Si l'on visite le site de Claude FALOURD à propos du développement de "l'aikido ju jitsu", cet élève de Jim ALCHEIK, lorsqu'il suivait son enseignement, parle souvent de disciplines telles que "l'aikido karate" ou "l'aikido ju jitsu", comme si une synthèse s'était produite dès le départ ou était entrain de se produire. Dans un courrier échangé avec Claude FALOURD à propos de l'évolution du Tai Jitsu, celui-ci déclare:
"Le taï-jitsu n'est en fait qu'un générique de l'Aïkido-jiujitsu créé par Minoru MOCHIZUKI Meijin et diffusé en france et en europe dès 1950, puis ensuite par Jim ALCHEIK dès son retour du Japon en 1958
TAI = corps
JITSU = art de combattre
Ces termes peuvent donc s'appliquer à tous les arts martiaux... après le décès de Jim ALCHEIK c'est un de ses élèves, Roland HERNAEZ (voir l'organigramme) qui a repris le terme taï-jitsu en utilisant des techniques de l'aïkido-jiujitsu et du karaté entre autres" (Courrier reçu en Mars 2011)
Par Tai-jitsu, Claude FALOURD semble entendre tout art martial. FALOURD insiste sur le fait que le terme ait été repris par HERNAEZ, pourtant Jim ALCHEIK fonde bien une fédération qui comprend le Tai-jitsu comme discipline. Le terme semblait déjà admis par ALCHEIK bien avant sa reprise par HERNAEZ. Ceci est confirmé par une autre déclaration de C. FALOURD:
" Dès 1955, Jim partit donc pour le Japon où, pendant trois années, il profita intensivement de l'enseignement, non seulement du grand Maître Minoru Mochizukii pour le Judo, l'Aïkido, le Kendo, le Tai-jitsu mais également des stages effectués auprès des Maîtres MASAGI,YAMAGUSHI, OGURA, TSUNODA etc... Tous grands experts dans le Karaté, le Kendo etc..." (Claude Falourd, archives tirées de son livre, cfr scans ci-dessous présentes sur le site de l'auteur)
Le Tai-jitsu serait selon cette dernière déclaration une discipline bien constituée et enseignée par Minoru MOCHIZUKI au Japon. Dans une telle optique, par "Tai-jitsu", ALCHEIK et MOCHIZUKI entendaient-ils la liaison "aïkido-jujitsu-karaté"? Etait-il considéré comme un art martial orienté vers la "complétude" des arts martiaux? Retenons à ce stades les faits suivants:
1) La transmission du Tai-jitsu se fait donc bien du Japon vers la France, enseigné par le Yoseikan Ryu à Jim ALCHEIK.
2) Une fédération comprenant la discipline "Tai-jitsu" est créée dès son retour du Japon (FFATK). Quel en était le contenu technique à l'époque? Peu d'informations nous permettent d'éclairer cette question.
Autres questions: pourquoi de telles contradictions dans les témoignages des auteurs? Pourquoi le rôle de Jim ALCHEIK est-il peu mis en évidence pour la transmission de disciplines diverses, dont le "Tai-jitsu", dans bien des ouvrages (ALCHEIK est surtout connu pour la transmission de l'Aïkido)? Pourquoi le "Tai-jitsu" est souvent assimilé, à tort, comme une "création française"? Au niveau international, il n'est pas rare de rencontrer des experts étrangers pour qui le rôle "d'ALCHEIK" fut déterminant à la transmission du "Tai-jitsu" du Japon vers l'Europe, contrairement à ce qui peut s'entendre en France.
La disparition de Jim Alcheik
Jim Alheik conçoit une fédération de Tai-jisu à son retour du Japon, à partir de l'enseignement qu'il a reçu au Yoseikan Ryu et avec l'aprobation de M. MOCHIZUKI. Tels sont les faits. Quel était ce "tai-jitsu" enseigné à la FFATK? Etait-ce un Tai-jitsu déjà codifié (Yoseikan), empruntant des techniques multiples et qui se complétaient les unes par rapport aux autres? Ou était-ce un Tai-jitsu "brouillon" en voie de construction, mélangeant diverses disciplines?Nous n'en savons que peu de choses.
Photos de Jim ALCHEIK
ALCHEIK meurt à un jeune âge. C'est lors d'un attentat à la bombe que Maître Jim ALCHEIK (1931-1962) et 18 des membres de son équipe seraient morts. A 31 ans, il aurait été en possession d'un 4è Dan en Aïkido, 3è Dan en Judo, 2è Dan en Tai Jitsu et en Kendo.
A la suite de la mort brutale d’ALCHEIK, ses élèves, dont Roland HERNAEZ, reprennent la suite du travail déjà entamé. Après son décès, à la demande d’Alain FLOQUET (assistant d’ALCHEIK), Hiroo MOCHIZUKI (le fils aîné de Minoru) reste en France pour diffuser, comme nous l'avions déjà évoqué, l’Aikibudo et le Karaté Shotokan. Il fondera également le "Yoseikan Budo" à la demande de son père, celui-ci voulant transmettre à la modernité, avec l'aide de son fils, la polyvalence des connaissances martiales caractéristique des anciens Samourai. La continuité de cette implantation du Tai Jitsu en France a été assurée, entre autres, par Roland HERNAEZ.
La part d'ombre de Jim ALCHEIK
Dans les années 50, une guerre clandestine fait rage entre des unités secrètes dirigées par l'Etat français et l'OAS (Organisation Armée Secrète), groupe politico-militaire luttant contre l'indépendance de l'Algérie. Ces opérations secrètes usaient de méthodes violentes: assassinats, tortures, attentats etc. Jim ALCHEIK et huit élèves de son dojo furent recrutés par Pierre LEMARCHAND, avocat et ancien commando d'Algérie, pour combattre clandestinement l'OAS. Un des adjoint de ALCHEIK, un certain Roger BUI-THE sera renommé pour sa cruauté sanguinaire.
C'est ainsi que ALCHEIK et son équipe participeront, par exemple, à la torture d'un technicien pétrolier et, probablement, au meurtre du Capitaine MASSENET, responsable OAS pour la région Orléans-Marine . Pour ce dernier, une rumeur non confirmée explique qu'il aurait été tué d'un coup de manchette par ALCHEIK en personne ou par un de ses élèves vietnamiens. L'OAS tentera d'assassiner à plusieurs reprises ALCHEIK et ses hommes.
Voici le témoignage de Jacques GOSSELIN:"Je suis métropolitain, né le 2 octobre 1935. Après 28 mois de service militaire en Algérie, notamment dans le sud oranais, j'ai été démobilisé et j'ai trouvé un emploi de chef de chantier à l'U.A.T.P. Je travaillais au lycée de Maison Carrée sur un chantier. En m'y rendant le 29 janvier 1962, vers 8heures du matin, avec la camionnette de mon entreprise, je m'arrêtai au un feu rouge juste avant le pont de Maison Carrée. A ma hauteur vint s'arrêter une "Chambord" dans laquelle il y avait trois européens et un vietnamien. Ils me regardèrent avec insistance. Peu après, ils m'ont doublé et m'ont fait une queue de poisson, en m'obligeant de m'arrêter... Aussitôt ils sont descendus, armés de pistolets 11/43 et m'ont fait monter dans leur véhicule. J’avais alors compris que j'avais affaire aux fameux barbouzes qui sévissaient à cette époque contre l'OAS, organisation dont je n'ai jamais fait partie. Je ne comprenais pas pourquoi je me retrouvais dans cette voiture avec les menottes et pourquoi j'ai reçu un violent coupe de coude sur le nez qui fit gicler mon sang sur mes vêtements (...) Il était environ 13h30 quand nous sommes arrivés à leur P.C. Ils m'ont fait descendre dans une cave, commencé à me boxer la figure. Je recevais des coups de partout (...) Ils m'ont attaché sur un fauteuil dont le dossier et le siège étaient remplacés par un treillis de ressorts métalliques et ils m'ont jeté un sceau d'eau pour me mouiller: j'ai compris que j'étais sur une chaise électrique et qu'ils allaient y mettre le courant (...) J'ai témoigné au procès de TISLENKOFF, fin janvier 1963 et j'ai reconnu sur photo le nommé ALCHEIK: il était parmi les barbouzes qui m'ont arrêté et torturé (...)" (Témoignage repris dans l'ouvrage de Alexandre TISLENKOFF, "24 heures chez les barbouzes, j'accuse Lemarchand.", Edt. Saint-Justin, s.l., 1966.
ALCHEIK, dit "Lassus" du commando "Talion" opérait dans la villa Andréa, 8 Rue Fabre à El-Biar. L'OAS, après de multiples tentatives, eut raison de lui le 29 janvier 1962. ALCHEIK attendait une livraison de machines d'imprimerie. Les boites livrées étaient remplies de +/-90 kg d'explosifs. Lorsque l'emballage fut ouvert, une violente déflagration eut lieu dans la villa. Celle-ci s'effondra. ALCHEIK et son équipe fut décimée. On compta 19 victimes. Lorsque la police arriva sur les lieux de l'attentat, elle put sauver 3 prisonniers qui étaient voués à une mort probable après interrogatoire.
Nous venons de voir un portrait fort contrasté d’ALCHEIK. Le Jim ALCHEIK impliqué dans de sombres et violentes opérations secrètes vient faire ombrage à celui qui a honorablement contribué à implanter le Tai-jitsu (mais également le ju-jitsu, l'aikdo et le karate) en France. Cette part honteuse et obscure du personnage ne serait-elle pas une des raisons pour lesquelles la contribution d’ALCHEIK dans l'histoire des arts martiaux, spécifiquement pour le Tai-jitsu, est minimisée voire occultée?
L'esprit "Yoseikan" au coeur du Tai-jitsu?
Pour en revenir aux arts martiaux, comme le Tai-jitsu est un "rejeton" martial du "Yoseikan Ryu", il apparait opportun de préciser ce qu'était l'esprit de cet enseignement au Japon. Par ailleurs, c'est l'occasion d'aborder brièvement la question du développement des arts martiaux. On parle alors de "disciplines martiales cloisonnées" (karate, aikido, judo etc.) vs "disciplines martiales liées ou ouvertes" (catégorie où se situe clairement le Tai-jitsu).
Ce qu'il nous faut retenir c'est que lorsque Hiroo MOCHIZUKI (fils de Minoru) arrive en France avec ALCHEIK, il a l'intention d'y implanter les bases de l'enseignement de l'aïkido et du karaté shotokan (entre autres). Le judo, dont ALCHEIK fut formé (Judo classique de Jigoro Kano), est une recomposition disciplinaire à visée sportive et éducative, épurée de techniques spécifiques au combat jugées trop dangereuses (ju jitsu classiques) et graduées par ceintures colorées. En ceci, nous pouvons affirmer que le judo s'est composé par un processus de modernisation voulu par Jigoro KANO au Japon. A partir de styles de "ju jitsu" plus classiques, un "judo" est né plus en phase avec l'époque. Ainsi, en Europe, les disciplines martiales furent diffusées et présentées de manière très cloisonnées et remaniées: aïkido, judo, karaté, kempo etc. Certaines devenant même plus populaires au détriment d'autres.
Or, il faut savoir que Minoru MOCHIZUKI (Yoseikan Ryu) aurait toujours défendu l'idée de transmettre l'idée de l'apprentissage de connaissances martiales polyvalentes, typique de l'apprentissage des antiques "samouraïs": arts martiaux variés se complétant les uns par rapport aux autres dans leur expression sur la scène d'une confrontation physique. C'est cette idée qu'il a voulu transmettre à son fils Hiroo MOCHIZUKI, lorsqu'en France, celui-ci fonde le Yoseikan Budo. Le Yoseikan opterait donc pour une logique de "mixité", de "liaison" ou de "complétude".
Comme le Tai jitsu est un "rejeton" martial du Yoseikan Ryu, on en vient à se demander si un tel "esprit" guidait Jim ALCHEIK lorsqu'il s'agissait de la pratique et de l'enseignement du Tai jitsu ? A savoir, la recherche d'une "complétude de techniques martiales variées" telle qu'elle se présentait, jadis, pour le samouraï? Peu d'éléments nous permettent de répondre à cette hypothèse, bien que techniquement le Tai jitsu se mixte traditionnellement d'ensembles de techniques qui se cloisonnent dans des disciplines telles que le karaté (art martial des percussions), le ju-jitsu (art martial de lutte) et l'aiki-jitsu (art martial des clefs) pour les présenter de manière très schématique.
Connaitre plusieurs arts martiaux n'est pas une garantie pour savoir les "lier" entre eux lors d'une confrontation physique. Passer d'un style à l'autre demande de l'entrainement. Travailler à cette liaison est toute une dimension d'importance. Jim ALCHEIK semblait être un budoka polyvalent avant tout.
Au final, "Tai jitsu" reste une dénomination générique englobant divers systèmes martiaux liés entre eux, respectivement à son sens usuel du Japon médiéval. Le Tai jitsu est bien transmis du Japon vers la France par le biais du Yoseikan Ryu au Japon (lui-même héritier du Daito Ryu - Aiki ju jitsu ou aïkido ju jitsu) et, en France, par le biais de la Fédération d'Aïkido, Tai jitsu et Kendo (FFATK). De ce Tai jitsu initial, quel en était le noyau technique, quels en ont été les apports ultérieurs, quel type d'enseignement était dispensé etc.? Un vide historique persiste.
Chaque maître héritier de l'enseignement d’Alcheik insistera davantage sur sa touche personnelle propre ou argue qu'il reste porteur d'une tradition inchangée. Il nous faut donc tenir compte d'un biais d'importance dans des témoignages qui peuvent apparaître contradictoires: compte tenu que la plupart des témoins fonde sa propre école martiale, dans quelle mesure le contenu de ces récits est-il orienté vers un intérêt visant à valider le bien-fondé historique de leur école?
3. Les héritiers du Tai jitsu d’ALCHEIK
Roland HERNAEZ serait né en 1934. Il aurait commencé les arts martiaux en 1951 par le Judo et le Ju Jitsu. En 1956, il aurait passé sa ceinture noire de Judo, et aurait démarré la pratique du Karaté, de l'Aïkido et du Tai Jitsu qu'il découvre auprès de Jim ALCHEIK. Certains récits racontent que HERNAEZ était en désaccord partiel avec la méthodologie d'enseignement d’ALCHEIK, qu'il tenait pourtant de MOCHIZUKI, lui reprochant un "manque de rigueur". Nous n'avons malheureusement pas trouvé plus de détails sur cette divergence.
En 1960, une commission technique dirigée par HERNAEZ travaillera à organiser – et non pas « inventer » – le contenu technique diffusé par ALCHEIK et à en concevoir la didactique pour un enseignement structuré et occidentalisé. Cette méthodologie aurait été approuvée par le Maître MOCHIZUKI. Au Yoseikan, HERNAEZ aurait suivi des stages par la suite. Il aurait également enrichi son Tai Jitsu du Shiorinji Kempo. Sur le site du Nihon Tai Jitsu, HERNAEZ déclare s’être séparé de la FFKAMA en 1985 du fait d’un manque de liberté au sein de la fédération. Il rejoindra à nouveau cette fédération en 1988, époque où serait déjà évoquée l’intégration du Tai Jitsu au Karaté Jitsu, intégration qui pose question.
Photos de Roland HERNAEZ
A ce jour, Maître Hernaez serait officiellement 4ème dan de Judo, 4ème dan de Aïkido, 7ème dan de Karaté-jutsu/Nihon Nai-jitsu, 1er dan de Shorinji-kempo, et diplômé d'état 2ème degré dans les 3 disciplines du Judo, Aïkido, Karaté. Le Maître Minoru Mochizuki lui aurait remis le titre de Hanshi, plus haut titre dans le Budo Japonais. D’après le site officiel du Nihon Tai Jitsu, le Tai Jitsu aurait été reconnu par la Fédération Internationale des Arts Martiaux, la Seibukan Academy et par la « International Fédération Nihon Budo ».
Il qualifiera son Tai Jitsu de Nihon (authentiquement japonais), voulant ainsi rapprocher la discipline de ses origines japonaises. Cependant, il est légitime de se demander dans quelle mesure les divergences de points de vue entre la fédération de Karaté et le Maître interviennent dans cette initiative de fondation d'une nouvelle école? En effet, la Fédération voulant orienter le Tai-jitsu vers le Karaté-jitsu, la constitution du Nihon Tai jitsu ne serait-il pas une tentative de sauvegarder la spécificité originelle du Tai-jitsu? Nous n'avons pas d'éléments pour répondre à l'une ou l'autre interrogation.
La Commission Nationale de Tai Jitsu, au sein de la FFKAMA sera, à la suite de HERNAEZ, dirigée par Daniel DUBOIS - qui fondera également son école de Tai-jitsu Do - et ensuite par Bruno HOFFER. Selon DUBOIS, « Le Tai Jitsu est un art martial français dans sa conception mais fondé sur des techniques japonaises… ».
Sans minimiser les apports programmatiques de la commission technique française, cette optique occulte la transmission originellement japonaise de l’enseignement du Tai Jitsu. Pour HERNAEZ, c’est la définition d’un programme d’apprentissage qui a été conçu. Dans quelle mesure peut-on parler « d’inventivité »? Le débat reste ouvert et des investigations plus poussées seraient nécessaires pour éclairer ces points de vue. Il ne s’agirait pas de prendre pour « argent comptant » les discours officiels des fédérations sans une analyse critique préalable.
Photo de Daniel Dubois
A la suite de Jim ALCHEIK, chaque maître reprenant le flambeau de la transmission du Tai-jitsu voudra mettre une touche personnelle au programme de son enseignement. C'est pourquoi, à côté d'un Tai-jitsu classique, HERNAEZ fondera son école de Nihon Tai-jitsu, DUBOIS son école de Tai-jitsu Do et la Fédération française de karaté cherchera à rapprocher le Tai-jitsu du Karaté-jitsu (cfr. Tableau historique).
Il est à noter que lorsque l'on se réfère à l'histoire de ces orientations modernes telle qu'elle est contée, la participation historique de Jim ALCHEIK est malheureusement minimisée, lorsqu'elle n'est pas totalement occultée. C'est pourquoi il n'est pas rare d'entendre des discours idéologiques tels que "Le Tai jitsu est français", "Le Tai jitsu est fondamentalement du karaté au départ", "Le Tai jitsu est une synthèse de judo, de karaté et d'aikido" etc. Discours partiellement ou totalement invalidés au regard des éléments historiques que nous avons exposés.
4.Les déboires et les orientations du Tai-jitsu
après le décès de Jim Alcheik
Nous venons de le voir brièvement, qu'à partir d'un Tai-jitsu originel dont on sait peu - si ce n'est qu'il est probablement conçu comme un "mélange" de disciplines maîtrisées par Jim Alcheik et importées du Yoseikan Ryu Japonais - se développe plusieurs orientations ultérieures. Ces orientations sont le fait d'initiatives propres aux instructeurs héritiers.
A ce propos, FABRICE CAUDRON nous apporte quelques éléments d'information supplémentaires pouvant éclairer notre entendement. Cet instructeur de Tai-jitsu de Leers nous explique sur son site qu'une "Fédération de Tai-jitsu" s'est instituée en 1972 sous la direction de ROLAND HERNAEZ. Cependant celle-ci n'a pu être reconnue. C'est pourquoi, afin de transmettre des diplômes reconnus par l'état et d'organiser des formations officielles, il a fallut que la discipline soit rattachée à la Fédération Française de Karaté. En 1977, un protocole d'accord aurait donc été signé pour que le Tai-jitsu puisse être enseigné sous l'autorité de la dite fédération qui, elle, était reconnue par l'état.
En 1981, la première coupe de France de Tai-jitsu aurait été organisée. D'autres déboires surgissent lorsque DANIEL DUBOIS, en 1983, se dissocie de l'enseignement de HERNAEZ pour créer un mouvement qui lui est propre avec le soutien de la FFKAMA. Suite à cette dissension, HERNAEZ aurait donc quitté cette fédération en 1985 pour rejoindre la Fédération de Judo en vue de raviver un "ju-jitsu" défensif qui était, jusqu'alors, mis de côté au profit du judo sportif. Cependant, ce projet aurait été un échec. C'est pourquoi, HERNAEZ revient à la FFKAMA en nominant son style de "nihon tai-jitsu" (authentiquement japonais), prétendant rester fidèle à une pratique originelle, là où le style de DUBOIS serait considéré comme plus proche du karaté.
Malgré cette proximité prétendue avec le Karaté voulue par DUBOIS, cela ne n'empêchera pas celui-ci de nominer officiellement son style de "Tai-jitsu Do" en 2000 et, de ce fait, de quitter la FFKAMA pour rejoindre la Fédération Européenne de Karaté et d'Arts Martiaux Traditionnels. Décidément, le rapport avec la fédération de karaté semble très difficile. Difficile également les relations entre les senseis eux-même.
Fondamentalement, ce qu'il nous faut retenir, au regard de ces différentes orientations, en accord avec FABRICE CAUDRON, est que le Tai-jitsu reste fondamentalement très identifié et presque identique d'un style à l'autre. L'empreinte du karaté sur notre discipline, qui probablement à l'origine était davantage orientée vers l'aiki-ju-jitsu, s'est vue davantage appuyée au fil de ces années.
La question actuelle relative à ces orientations consiste à se demander si un style de Tai-jitsu donné cherche un équilibre entre ses héritages techniques (aiki-ju-karate jitsu) ou s'il est identifié comme tendanciellement orienté de manière prédominante, soit vers l'aiki-ju-jitsu, soit vers le karaté.
5.Le Karate jitsu ou le Karate "défensif" VS Tai-jitsu
Nous venons de voir, à ce stade de notre historique, que la Taï-jitsu (technique du corp) est héritier du Daito Ryu Aiki-ju-jitsu, transmis par UESHIBA (Aïkido) à MOCHIZUKI (Aïkido ju-jitsu Yoseikan), puis de ce dernier à JIM ALCHEIK (Fédération française d'Aïkido, Tai-jitsu et Kendo - FFATK). Dès l'implantation du Taï-jitsu en France, la question de la place du Karaté se pose: dans quelle mesure le Tai-jitsu d’ALCHEIK en est-il techniquement imprégné? Nous savons que HERNAEZ, avec sa commission technique relative au Tai-jitsu, officialise et consolide davantage le contenu technique du Tai-jitsu. Des techniques spécifiques au Karaté, voire peut-être même au Kempo, se retrouvent dans le Tai-jitsu; tout comme les dimensions techniques de "l'aiki-ju-jitsu".
Cependant, depuis la dernière dizaine du XXe siècle jusqu'à nos jours, il est souvent fait référence au Karaté-jitsu lorsque le Tai-jitsu est évoqué. Cette référence est historiquement bien ultérieure et véhiculée par la Fédération Française de Karaté, mais également par le langage populaire. Certains assimilent le Tai-jitsu au Karaté-jitsu, d'autres parlent du Tai-jitsu comme du Karaté "défensif" ou joignent le terme "Karaté" à "Tai-jitsu" lorsqu'ils parlent du Tai-jitsu. Pour d'autres encore, Tai-jitsu et Karate-jitsu sont deux disciplines proches par certains aspects techniques mais bien distinctes historiquement.
Au final, il règne une grande confusion qui nous laisse l'impression erronée que le Tai-jitsu n'est, finalement, qu'un style de Karaté. Il est cependant vrai que le terme "Karaté" parle plus aux oreilles des profanes que le terme "Tai-jitsu", cette "confusion" est utile à l'économie intellectuelle. C'est pourquoi on peut comprendre que certains instructeurs y font référence pour parler du Tai-jitsu.
Mais cette économie peut être source d'ignorance lorsque les discours qui en émanent sont pris au sérieux. Il est également vrai que le karaté a davantage imprégné le Tai-jitsu au fil de son histoire, mais pas au point de se substituer totalement à ses héritages techniques originels. Bref, le Tai-jitsu n'est pas du karaté, ni un style de karaté, mais un art martial qui est imprégné de certaines techniques de karaté!
Dans ce cours article, nous entendons développer succinctement ce qu'est le "Karaté-jitsu" et le mettre en rapport avec le "Taï-jitsu".
Le Karaté-jitsu, ou "technique de la main vide" ou "technique de la Chine" ("Kara" étant une province de la Chine de la dynastie des Tang), est une méthode de combat rapproché qui s'est développé à Okinawa depuis le XVIIe siècle. Cette méthode, aussi appelée Okinawa-te, se constitue d'éléments martiaux indigènes et d'éléments importés de la chine (Quan-fa, notamment le Quin na).
Pour cette époque, il s'agissait d'un art martial ayant une portée très pratique. Des auteurs comme HABERSETZER distinguent bien le "Karaté-jitsu" des styles modernes du XXe siècle auxquels il a donné lieu tels que le "Karaté-do" (discipline martiale tendant vers un développement individuel) ou le "Karaté" (discipline à visée sportive).
Ce qu'il nous faut retenir, c'est que le Karaté-jitsu de cette époque était riche de techniques de frappes mais également de techniques de clés d'articulation, de projections et d'étranglements. Techniques utiles pour le combat rapproché et dont une grande partie serait absente dans la pratique du Karaté actuel. C'est donc en ce sens que le "Karaté-jitsu" est proche du "Tai-jitsu": dans les catégories ou ensembles techniques présents (pas forcément dans les techniques mêmes) et dans leur aspect strictement utilitaire. A contrario, des techniques telles que des coups de pieds portés hauts, des fouettés ou retournés étaient absentes car trop dangereuses pour le combat.
Lorsque l'île d'Okinawa est rattachée au Japon à l'ère Meiji (1868-1912), les japonais ont découvert cette discipline, qui jusqu'alors s'était développée de manière isolée. Cette méthode était alors bien différente du contenu de leurs écoles de "Ju-jitsu" ou de "Tai-jitsu". Ce transfert vers le Japon aurait été accompagné d'un appauvrissement de la technique et de l'esprit orienté vers le combat.
Pour reprendre notre propos de manière plus schématique, le Karaté-jitsu est issu d'Okinawa (éléments martiaux indigènes et chinois) alors que le "Tai-jitsu" se développe strictement au Japon. Au XXe siècle diverses disciplines martiales se rencontrent. Les ensembles techniques similaires (technique d'attaques aux articulations, de projection et d'étranglement) se retrouvent dans les disciplines telles que le Karaté et le Shorinji, l'Aiki-jutsu et l'Aïkido, ainsi que le Ju-jitsu et le Judo. Ainsi, bien que des interférences ou des rapprochements entre ces disciplines aient pu se faire, retenons que "Tai-jitsu" et "Karaté-jitsu" sont bien distincts historiquement.
Encore faut-il se demander si le "Karaté-jitsu" dont on parle actuellement en France est assimilé au "Karaté-jitsu" traditionnel? Ou s'agit-il d'un "Karaté" moderne orienté vers la self défense? Cette dernière option semble la plus probable. Dans les deux cas, ce qui ressort est la nécessité "pratique" (self défense, confrontation réelle etc.) de ce Karaté et la "redécouverte" de techniques "perdues" avec le temps et la transmission.
En bref, le terme actuel de "karaté jitsu" fait référence à un karaté orienté vers la self défense. Il s'agit donc de concevoir un Karaté qui intègre des techniques plus variées (clés, projections etc.) que l'ensemble des techniques de percussion du karaté sportif moderne. Or, il s'avère que le Tai-jitsu, bien distinct historiquement, prétend développer une telle méthode et, qui plus est, fait partie de la fédération de karaté. Avons-nous donc à faire à deux méthodes de self défense distinctes ou à une volonté d'absorber totalement le Tai-jitsu dans le système "karaté"?
Retenons que le Tai-jitsu moderne et le Karaté jitsu moderne, bien qu'issus de branches martiales distinctes sur le plan historique au départ, se rejoignent quant à la finalité et la ressemblance des techniques employées pour la self défense. Historiquement, nous pourrions parler plus précisément du Tai-jitsu comme une méthode "d'aiki-ju-karaté jitsu". Mais par Karaté jitsu, avons-nous affaire à un style de goshin jitsu (technique de défense) tellement proche au Tai-jitsu au point d'en confondre les styles? Mais dès lors, par Karate jitsu, confondu au Tai-jitsu, cela revient-il à dire que l'on a affaire à un style de Tai-jitsu plus orienté vers le karaté? Et donc, quelle place pour les principes "ai" et "ju"?
En conclusion
Notre historique de la discipline reste, à ce stade de rédaction, incomplet et nombre de questions restent encore sans réponses. Il s’agissait surtout, dans ce travail, d’une recherche critique de données historiques en vue de relativiser des discours « populaires » transmis par les autorités fédératives ou des sites internet. Le poids d’une autorité ou de l’importance d’un service ne doit pas faire présumer de la véracité d’une information, voire d’une histoire.
HABERSETZER affirme que le Tai-Jitsu ne serait qu’une forme parmi d’autres de Ju Jitsu: « (…) depuis la diaspora des techniques il y a un siècle et l’étude effrénée qui s’en suivit dans chacune des directions propres, un ju-jitsu actuel ne peut être qu’un ju-jitsu à tendance judo, ou aïkido ou karaté. »Reprenant l'auteur, nous pourrions déclarer que les Tai-jitsu modernes qui émergent se définiraient donc par une tendance stylistique particulière.
D'une part, notre historique montre que le Tai-Jitsu se veut héritier de techniques plus anciennes (aiki ju jitsu du Daito Ryu avec l'enseignement d’UESHIBA et de MOCHIZUKI), ce qui infirme partiellement l'assertion de HABERSETZER. D'autre part, ALCHEIK est formé à des disciplines modernes diverses et bien que le Tai-Jitsu ait été transmis comme système indépendant ou lié à l'aiki ju jitsu, on ne peut écarter des interférences techniques avec des disciplines comme le judo (kodokan) et le karaté. Et si la question des interférences disciplinaires se posent, elles doivent se poser à l'échelle historique du Yoseikan Ryu de prime abord (à distinguer du Yoseikan Budo - Œuvre fédérative et martiale de Hiroo MOCHIZUKI, à la demande de son père).
Enfin, il ne faut surtout pas omettre la pression de certaines politiques fédératives qui voudraient incorporer le Tai-Jitsu à un système comme le karaté par exemple (karaté jitsu ou autres...), faisant perdre son identité première au Tai-Jitsu, donnant alors raison à l'affirmation de HABERSETZER.
Actuellement, trois orientations modernes du Tai-jitsu (peut-être y en a-t-il d’autres) obéissent à cette logique tendancielle : un Tai-jitsu voulant se tourner vers des principes originels (Nihon Tai Jitsu ou Tai Jitsu Do), un Tai Jitsu tourné vers le Karaté (Karaté Jitsu) et un Tai-jitsu générique cherchant un équilibre entre trois principes biomécaniques et techniques: "Ai ou Wa: harmonie, concordance" - " Ju: souplesse" - "ken ou ate : percussion" (Tai Jitsu classique).
Sources bibliographiques et documentaires
Archives sur Jim Alcheik
Les archives ci-dessous insistent davantage sur le développement de "l'aïkido ju jitsu" de ALCHEIK, ses formations au Yoseikan, ses connaissances en judo et en karaté. Malheureusement peu de choses sont dites sur le développement du Tai-jitsu dont ALCHEIK fonde pourtant une fédération comprenant cette discipline dès son retour du Japon. Certains éléments indiquent une référence à la self défense et au Tai-jitsu mais peu de détails sur le contenu et l'histoire de cet enseignement. Il est également vrai que Jim ALCHEIK a beaucoup contribué au développement de l'aïkido en France.
Les archives ci-dessous sont des scans d'un ouvrage de Claude FALOURD (déjà diffusés sur son site), un proche de Jim ALCHEIK, ayant fondé une école de "Aïkido ju jitsu", respectivement à l'héritage de MOCHIZUKI et d’ALCHEIK. Bien qu'il n'insiste pas sur le développement du Tai-jitsu, nous apprenons qu’ALCHEIK a publié des ouvrages traitant de divers arts martiaux.
Bibliographie
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FALOURD Claude, site officiel de l'Aikido Ju jitsu, http://falourd.pagesperso-orange.fr/index.html
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- Revue «Budo international», Barcelone, Espagne, 152, Avril 2008
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- Revue «Ceinture noire», n°55, Janvier-Février 2008
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- TOKITSU K., «Méthode des arts martiaux à mains nues.», Edt. Robert Laffont, Paris, 1987.
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- www.fr.wikipedia.org – Encyclopédie internautique – informations récoltées le 02/11/2008 – articles « Tai Jitsu », « Yoseikan budo » & « Karaté ». Il est à noter que certains apports écrits (du 20/09/2010) ont été effectués sur les articles "Tai jitsu" de l'encyclopédie internautique à partir de cet article et non l'inverse. Les seules informations recueillies des dits articles de Wikipédiasont celles reprises au bas de notre tableau historique (page suivante), concernant les écoles japonaises de Tai jitsu.
-Página sobre JimAlcheik:
http://mundotaijitsu.mundostartrek.com/Biografias.php?persona=Jim%20Alcheik
- Recueil de discours oraux de divers enseignants de Tai jitsu en Belgique, France et Espagne, lors d'échanges interclub, cours ou stages.